Naturellement attirée par les faces cachées de la société et les principes qui la sous-tendent, j’investis des thèmes liés à l’Histoire, au politique ou encore à la stratégie. La mise en fiction de problématiques à caractère documentaire est mon moyen de prédilection pour faire parler la réalité. Stratifiée, ramifiée, celle-ci nécessite selon moi — pour rendre sa complexité accessible — un procédé de mise en évidence fictionnelle, sous peine de rester inintelligible. J’aborde ainsi les choses comme s’il s’agissait d’une enquête à mener, ou d’un mystère à percer.
Une longue phase de recherche théorique débute chacun de mes projets. Elle peut s’étendre sur plusieurs années, comme cela a été le cas pour le storytelling ou le reenactment. Cette phase m’est indispensable pour éviter les lieux communs et trouver les correspondances, analogies et digressions sur lesquelles mon récit va s’articuler. Parallèlement à cette phase, une étude précise et détaillée des registres esthétiques et genres cinématographiques que je compte investir commence.
L’art est pour moi un moyen ; en aucun cas une fin. Il ne s’agit pas de fabriquer de séduisants objets en faisant émerger quelques symptômes spectaculaires de nos temps particulièrement troublés. Mon but est de porter un regard différent sur le monde et de faire en sorte que ce regard soit porteur de sens. L’Histoire vacillante, c’est souvent sur les destins individuels que mon attention se reporte. Créer du lien, colmater les brèches qui séparent les histoires personnelles de l’Histoire collective est une des ambitions de ma démarche. L’écriture constitue alors la pierre angulaire de ce travail de reconstruction — voire de réparation. Faisant des films avec (et non pas sur) la pratique de l’entretien et leurs éventuelles réécritures puis montage, font partie de mes outils.
Me jouant de la question du point de vue, ce n’est pas le rapport du Moi avec le monde que mes œuvres s’efforcent de capter. Ma méthode consiste plutôt à m’abstraire temporairement de la réalité pour observer — comme par cette sphère magique que décrit Borgès dans l’Aleph et où « sont présents, sans se confondre, tous les lieux de la terre, vus de tous les angles». C’est uniquement à l’issue de l’articulation de différents registres de focalisation, que je peux à nouveau tenter de me trouver une place — celle-ci pouvant s’avérer être finalement hors-champ.
La mise en récit et (ou) en fiction, me permet souvent d’imposer un ordre nouveau à la réalité que j’ai perçue et de mettre en exergue des aspects spécifiques qui constituent les points de tension, les nœuds à la fois théoriques, émotionnels et esthétiques. Aussi, j’entends mon processus comme un travail d’analyse dans lequel la fiction devient une courroie de redistribution du réel. Mon engagement réside dans le fait de ne pas m’abandonner à la facilité des chemins balisés ni à la complaisance d’un traitement convenu. Le courage constitue pour moi la valeur suprême.
Sandy Amerio – 2013